Pages

mardi 26 décembre 2017

Trêve de confiserie !


En novembre dernier, Le Monde Diplomatique publiait un long article sur la Littérature Jeunesse (youpi) ressassant les mêmes éternels clichés (pas-youpi)... Le titre, remarquez, annonçait la couleur : De la guimauve pour la jeunesse. Avec une bande de collègues masqués (certains éditeurs ou trop exposés) ça nous a agacé, et on a voulu répondre par un petit courrier. Notre droit de réponse n'a pas été publié. Tant pis, on le met ici ! On ne sera lu que par des convaincus, et c'est bien dommage, mais le silence est pire. Des bises à chacun chacune, et aux lecteurs, lectrices, médiateurs, médiatrices, à celles et ceux qui font vivre nos livres, on compte sur vous pour continuer à les servir sans modération  





Lettre ouverte en réponse à l’article « De la guimauve pour la jeunesse », d’Olivier Barbarant, Le Monde Diplomatique n°764 de novembre 2017
Les auteurs, autrices, éditeurs et éditrices jeunesse se réjouissent toujours lorsqu’un grand journal à forte audience tel que Le Monde Diplomatique consacre un article dans ses pages à la Littérature Jeunesse, domaine éditorial méprisé par les médias.
Hélas, trop souvent, sa richesse et sa qualité sont bien mal représentées, et l’auteur de l’article en question ne déroge pas à cette règle. Il livre de la Littérature Jeunesse une image tout à fait incomplète, très négative et assez désespérante... alors qu’il s’agit d’un secteur non seulement très dynamique mais surtout beaucoup plus vaste que le filtre très restreint choisi par l’article ne le laisse croire.
L’ intention de l’auteur était pourtant intéressante : le succès de certains ouvrages en Littérature Jeunesse et les attentes scolaires entraineraient des risques de normalisation, pouvant impacter gravement la qualité des ouvrages pour la jeunesse. C’est vrai, de nombreux exemples de « guimauvisation » existent et l’auteur en donne quelques-uns. Mais combien d’autres œuvres auraient pu être citées en contre-exemples ! Surtout en France où nous avons une production particulièrement audacieuse et engagée que le monde entier nous envie et nous achète ! Étrangement, l’auteur ne cite pratiquement que des traductions anglo-saxonnes à succès…
Autant dire que cet article nous a beaucoup déconcertées.
Nous ne savons pas quoi penser d’un article critique qui se clôt sur un appel urgent au tri, mais qui ne parle que de Cherub et des Cabanes Magiques, séries archi-commerciales s’il en est, et qui invisibilise ainsi tout un pan de la Littérature Jeunesse, notamment celle qui est française.
Nous ne savons pas quoi penser d’un article qui semble si peu au fait des pratiques du corps enseignant que les auteurs et autrices jeunesse connaissent bien, puisqu’ils et elles visitent les classes de toute la France tout au long de l’année. Ce sont leurs ouvrages qui sont utilisés en classe le plus souvent, et rarement les best-sellers anglo-saxons, qui n’ont guère besoin de l’école pour être lus. Les enseignant·es·qui invitent les auteurs et les autrices dans leurs classes font un travail formidable auprès des élèves, pour leur faire découvrir autre chose. Ces passeurs et passeuses connaissent le meilleur « outil de tri » qui soit : lire les livres pour la jeunesse. 
Nous ne savons pas quoi penser non plus du choix du Monde Diplomatique de publier cet article, sans avoir, par exemple, consacré quelques lignes au prix Vendredi présenté comme l'équivalent du Goncourt pour la littérature jeunesse et qui vient d’être décerné à Anne-Laure Bondoux pour son si beau roman, L’Aube sera grandiose, publié chez Gallimard. Pourquoi ne pas avoir parlé de la récente sélection des Pépites, prix qui sera remis en décembre pendant le Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil, l’un des plus importants salons d’Europe, celui-là-même qui accueille chaque année, comme le souligne d’ailleurs l’article, quelque 175  000 visiteurs ? Pourquoi ne pas avoir évoqué le prestigieux prix international Astrid Lindgren, « Nobel de la littérature jeunesse », décerné en 2016 à Meg Rosoff, autrice anglaise dont il faut d’urgence découvrir les romans passionnants, et décerné en 2017 à l’illustrateur allemand Wolf Erlbruch... oui, celui-là même qui a illustré l’excellent album La petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, ainsi que bien d’autres albums, tous traitant merveilleusement du sens de la vie avec humour et pudeur. Pourquoi préfère-t-on, en France, s’alarmer sur le fait que les jeunes ne lisent plus ou qu’ils lisent des livres de mauvaise qualité (et que c’était mieux avant), quand partout ailleurs on reconnaît la Littérature Jeunesse comme étant l’égale de la Littérature Générale ?
Pourquoi ne pas avoir plutôt cherché à découvrir et à faire connaître aux lecteurs et aux lectrices du Monde Diplomatique la multitude d’ouvrages pour les tout-petits, les enfants et les adolescents, qui foisonnent de talent et de créativité, et que bibliothécaires, enseignant·es et libraires s’évertuent à faire connaître, dans un mépris médiatique incompréhensible ? Mieux médiatiser ces ouvrages de qualité ne serait-il pas pourtant le meilleur moyen d’aider les parents et l’école à faire leur choix au sein d’une surproduction il est vrai inquiétante ?
Car ces 12,66% de livres enregistrés à la BNF fourmillent d’enjeux passionnants. On touche à l’éducation, à la création, et à ce qu’on veut laisser aux générations futures. De toutes parts, des spécialistes se penchent sur le domaine, de très près… L’Afreloce (L’Association Française de Recherche sur les Livres et les Objets Culturels de l’Enfance) rassemble des dizaines d’universitaires, balayant l’ensemble du spectre, de l’album cartonné à la littérature pour jeunes adultes, dans des perspectives historiques, sociologiques, esthétiques… La Charte des Auteurs et Illustrateurs, côté auteurs et autrices, ainsi que le SNE (Syndicat National des Editeurs) côté maisons d’édition, font un travail formidable pour la reconnaissance de cette littérature et de ses créateurs et créatrices.
La littérature jeunesse est un magnifique sujet, si et seulement si on veut bien la traiter comme un véritable sujet, et non juste répéter inlassablement les mêmes clichés navrants en ajoutant ci-et-là un peu de Rabelais pour se donner l’air savant. Évidemment, cela demande un vrai travail d’information, de documentation... et de lecture des œuvres, de façon plus diversifiée et curieuse qu’en les piochant dans les rayons des best-sellers anglo-saxons.
Mais si même Le Monde Diplomatique se met à faire de la guimauve, où va-t-on ?

Le Collectif des ConFiseurs et ConFiseuses de la Littérature (constitué d’auteurs, d’autrices, d’éditeurs et d’éditrices jeunesse)

2 commentaires:

Christel BLAISON a dit…

Bien dit ! Pour ma part, j'achète les livres chez un libraire jeunesse, qui est de bon conseil (et les a lus). Et je prends grand plaisir à les lire après (ou avant) mes enfants.
Continuez à les faire rêver, rire, pleure, réfléchir... etc., aussi bien que dans les livres "pour les grands". Pas de mystère, ceux qui lisent les livres de "grands" et les dévorent n'ont pas été bercés de guimauve, mais bien nourris de lectures intelligentes quoique "pour enfants".

Séverine Vidal a dit…

réponse parfaite !
bravo !